Dans ce coin de banlieue, chacun a sa bande. Mo’ rejoint les gars du bloc sud chaque matin, toute la journée, tous les jours, toutes les nuits, il n’y a rien d’autre à faire ici.
En bas d’un immeuble, sur l’aire de jeu des mioches, ou le terrain de basket dont les panneaux ont disparu, le groupe traine, rigole, invective, prépare ses coups.
Sur chaque territoire on impose sa présence, on roule des mécaniques, on lève le menton, on fusille du regard tirant une taffe.
On a toujours une petite appréhension en passant chez les « autres », dans le camp du voisin. Mais depuis quelque temps la tension a fait place à la peur. Ils ont changé les gars du bloc sud, ils sont barrés. Fini les gros mots, les yeux laser, les dents serrées qui annoncent les combats à venir. Ils n’auraient pas fait plus flippant en dégainant un colt. Sam souriait, Mino bricolait sa bécane en sifflant, Lemon écoutait une fille d’un air bête, le reste de la bande exhalait un air de nabab installé. Ce qui n’allait pas, c’est que le bloc sud ne paraissait plus sur le pied de guerre, ils ressemblaient à des conquérants arrivés à bon port.
Les gars des Platanes, des Basses Plaines, de la Rocade Est, les épiaient 24h sur 24 pour comprendre, chercher le loup. Même les keufs cherchaient l’arnaque. Sur quelle mauvaise affaire, ces enfoirés du bloc sud étaient pour afficher une telle assurance et une telle morgue ? Mino qui jouait les indics à temps partiel n’avait rien lâché. Après deux jours de sous-marin dans une camionnette pourrie dans leur territoire, le rapport déposé sur le bureau du commissaire décrivait : « plus de filles que d’habitude, qui sourient comme les garçons d’ailleurs… ».
Mo’ prépare son coup. Il a bien fait marrer tout le monde hier en montrant à la bande le véhicule qui ferait l’affaire, un vélo. Mais là, les copains n’allaient pas en revenir quand ils verraient ce qu’il avait bricolé cette nuit dans la cave, le roi du tunning.
Sam avait été le premier dans le changement de stratégie du groupe, il était toujours le premier pour les conneries. Billy, le roi des suiveurs, n’avait pas tardé à l’imiter quelques jours après. Le bloc entier en avait été baba. Certains étaient partis depuis, on avait dépassé des limites.
Mo’ récapitule son trajet, il le connaît par cœur, mais ça le rassure de rentrer dans une routine comme disaient les préparateurs avant les matchs de foot.
Le chemin le plus court pourrait être une solution, mais le panache faisait partie du projet, alors il ferait le grand tour.
Mo’ enfile sa tenue. L’habit fait le moine, tel un ninja tout en noir dans la nuit, tel un matador scintillant au soleil, telle une seconde peau. Mo’ se sentait à sa place, fort, beau, et aussi un peu tendu.
Il est 10 heures, il n’y a pas encore foule, car au bloc sud comme aux Platanes, on se lève tard. Mo’ est impatient, il attend l’appel de son complice au repérage, pas question de faire chou blanc.
Le portable vibre : « Allo », « OK, coin supérette et container à verre ».
Le temps est compté, vérification de sa tenue, le plan est clair dans sa tête, un détour par la salle de bain pour récupérer quelque chose planqué sous le lavabo dans un seau, une bonne prise dans la main droite ou main gauche, il ne faudra pas trembler, ça va.
Descente rapide à la cave, sortie par la rampe sur son vélo, le buste fier.
Le bloc sud-est traversé à toute vitesse. Les regards se tournent, franchement intrigués et incrédules, puis effrayés quand le cycliste se dirige tout droit vers les Platanes.
Aux Platanes, on est éberlué. Le drôle d’engin qui avance, personne n’a jamais vu cela.
La supérette n’est plus très loin.
Fol’ vit aux Platanes, elle fricote quelquefois avec la bande du coin à l’abri de ses deux frères, les caïds de la place.
Elle est sortie de la supérette il y a quinze minutes et comme à l’accoutumée elle traine devant en discutant avec ses copines.
Tout le monde tourne la tête à droite, elle aussi voit arriver le gars sur le vélo. Contrairement aux habitudes de la plupart des gens d’ici qui rasent les murs, il semble que le cycliste ait tout fait pour se faire remarquer.
Un fanion rouge perché au-dessus du cadre claque au vent comme une annonce. Fol’ ne le quitte pas du regard et à l’impression qu’il avance tout droit vers elle. Petit à petit la silhouette se dessine mieux, un petit drapeau orange dépasse du guidon à gauche, et un vert de l’autre côté. Le cadre scintille comme s’il était serti de strass. On voit désormais que le cycliste sourit à pleines dents, les yeux fixés, plantés dans ceux de Fol’. Elle est hypnotisée par cette apparition, ce mec à vélo habillé tout en rose, qui s’arrête maintenant devant elle.
Autour, tout est figé. Aux Platanes on est du genre « sur le qui vive ». Les inconnus et encore moins un gars du bloc sud n’arrivent pas jusqu’ici librement. Tous sont estomaqués, bouche bée, ébaubis.
Mo’ se tient bien droit devant Fol’, lui tend avec assurance le bouquet de fleurs qui était accroché sur le guidon. Elle ne peut pas contenir un large sourire pour répondre au sien.
« Fol’, je suis Mo’ du bloc sud, j’adore ton sourire. Si tu veux, allons faire un tour à bicyclette ».
Elle est montée derrière Mo’.
Il a déjà donné quelques coups de pédales quand les incrédules commencent à bouger.
Quelques minutes, ils sont loin, et ça rigole !
Rose Simonet
Quand rivalité et amour se conjugue cela donne de joli message. Ce n est pas parce qu’on est pas du même bord que l on ne peut pas se rencontrer. Joli. Bravo