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Photo du rédacteurPatricia RICORDEL

LE PREMIER SACRIFICE


Le Premier Sacrifice

Vide. Le ventre, l’esprit, le regard.
Tout.
La journée passée à chercher de quoi survivre.
Et toujours rien.
Malgré leurs peaux velues, Elle et Lui frissonnent. La nuit tombe, seuls quelques minces rayons de soleil arrivent encore à percer l’épaisse forêt.
Lui pousse un grognement, il veut rentrer à la grotte.
Elle aussi mais elle demande un peu de patience. Elle déteste rentrer les mains vides.
À chaque fois elle rumine son échec toute la nuit, impossible de dormir.
Rassemblant ses dernières forces, elle pointe une prairie du doigt.
 
Les pieds piétinent avec mollesse le tapis de feuilles qui les mène vers leur dernier espoir. Une vingtaine de pas avant d’arriver, Elle perçoit du sang sur un tronc d’arbre.
Elle ne dit rien, elle veut être sûre.
Les espoirs déçus sont les pires quand la détresse est à son paroxysme.
Elle fixe la tache rouge, marche vers elle, la bouche ouverte, hébétée.

Elle pousse un cri, Lui sursaute. Elle marche plus vite, elle courrait si elle le pouvait. Au pied de l’arbre, une carcasse. Les restes d’un bison dépecé par une meute de tigres à dents de sabre. Ils sourient, s’emparent du miracle, direction la grotte.

La lune est haute quand ils arrivent. Des pierres blanches placées devant l’ouverture du mont rocheux permettent de faire ricocher sa clarté pour éclairer leur habitat.
Sous cette lumière crue, rien ne les distingue. À part leurs sexes, Elle et Lui ont la même taille, la même carrure, la même pilosité.
Le repas est vite prêt. Une fois le ventre plein, le sommeil prend le relais de la faim.

Grâce à la carcasse, Elle et Lui ont de quoi manger pour un bon moment. Un luxe. Ils se rationnent, répartissent équitablement leur butin en portions égales, juste ce qu’il faut pour survivre.

Jusqu’au jour où Lui tombe malade.
Il peut à peine se lever. C’est la première fois qu’une telle chose leur arrive. Elle décide alors de prendre un petit bout de gras de sa portion pour la mettre dans celle de son compagnon.
Un sacrifice temporaire pour qu’il aille mieux. La voyant faire il lui sourit mollement, c’est le seul effort que la fièvre lui permet.

Chaque jour, Elle met un petit bout de gras supplémentaire dans la portion du malade. Sa santé s’améliore lentement.

Une semaine passe, le voilà de nouveau d’aplomb. Elle et Lui se partagent de nouveau les tâches de façon équitable. Tout revient à la normale.
Ou presque.

Au moment de manger, Lui continue de s’octroyer un petit bout de gras en plus. Il y a pris goût. Un détail anodin, une broutille qu’Elle remarque sans rien dire. Elle se dit qu’il finira bien par comprendre de lui-même que ce surplus était une attention bienvenue mais temporaire.
Les repas défilent et rien ne change.
Elle comprend, trop tard, que le temporaire est devenu permanent. Et plus le temps passe, plus il semblerait mesquin de le faire remarquer.
Un si petit bout.
Et aussi surement qu’un souffle infime suffit à ce que deux droites parallèles s’écartent à l’infini, ce détail influe sur le physique de Lui.
 
Génération après génération, millimètre par millimètre, la carrure de l’homme prend alors plus d’ampleur que celle de la femme.
Originellement à force égale, voilà que l’homme s’enorgueillit désormais de la surpasser.

Nans Gourgousse

 

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2 Comments


De comment le patriarcat a émergé alors Qu hommes et femmes étaient égaux. Une b’ nouvelle surprenante.

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Très bien écrit, je ne m'attendais pas à la chute... Ça pourrait expliquer nos différences morphologiques, l'empathie chez la femme et l'égoïsme chez l'homme...

Bravo

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