Edith déambule dans l’appartement depuis plus d’une demi-heure. Sa crinière rougeoyante dégringole sur ses épaules nues, sa serviette de bain retenue tant bien que mal par ses bras allumettes. Elle rugit contre elle-même. Je fais semblant de dormir, sinon, à coup sûr, ce serait moi qui en ferais les frais. Elle ne trouve rien à se mettre, et moi je n’ai pas la moindre envie de l’aider. Je suis le chemin des gouttes d’eau, qui perlent à son cou et dévalent entre ses seins. Je me vois très bien me lever d’un bond, la saisir par les hanches. Un frisson de surprise fera glisser sa serviette à ses pieds. Et il me suffira de quelques mots et quelques doigts bien placés pour la convaincre d’étirer le temps, voire de l’arrêter.
Elle est toute colère. Je ne m’aventure même pas à lui dire qu’elle peut mettre ce qu’elle veut sur le dos, que rien ne suffirait à apaiser le feu dans mon bas-ventre. Elle veut être parfaite, parce que c’est important. Elle ne sait pas qu’elle est parfaite, et c’est ce qui importe.
Aujourd’hui, on va chez mes parents.
Alors, je joue l’illusion du sommeil. J’ouvre un quart de paupière lorsqu’elle a les yeux ailleurs. Elle est trop occupée à se maudire pour s’apercevoir que je bande. Je ferme les yeux une seconde.
Elle me réveille avec une poigne de fée. J’ai le même sourire niais de quand on vient de se faire des câlins emboîtés. J’ai dû faire un joli rêve.
Edith a retrouvé son calme, coincé tout à gauche de la penderie, suspendu à un cintre en bois. Une petite robe sarcelle, des escarpins moins haut-perchés, qu’à son habitude.
Elle ouvre le rideau métallique et le soleil me fait une ola mollassonne mais pas moins irritante. Je niche ma tête sous la couette en marmonnant.
« Enlève pour voir… Alors, ça fait quoi ?
— Bah…
Ma réponse n’est pas satisfaisante, je m’en rends compte au moment même. Mais ma capacité de réactivité au réveil n’est pas fulgurante.
— Merci, franchement !
— Ça fait… Sage.
Elle me regarde en forçant l’écarquillement de ses yeux.
— Tu préfères que je te dise que t’es…
Mon ton est volontairement lubrique.
— Tais-toi ! » Conclut Edith en souriant, avortant ma tentative d’incitation à la débauche.
Et en réajustant son reflet dans le miroir, elle ajoute « Sage, c’est bien. »
Un tour de salle de bain et une tartine de confiture plus tard, je suis prêt à décoller. Edith enfile ses bijoux avec soin, et je la presse juste pour la provoquer.
« Qu’est-ce que tu fous, ma mère va gueuler !
— Vas-y, démarre toujours si t’es si impatient, vas-y tout seul aussi tant que t’y es… Elle soupire.
Comme c’est pas ce que je veux, une Edith chagrin et qu’on a plus le temps pour les réconciliations au pieu, je joue la carte tragique.
— Tu ne viens pas ? Tu me quittes c’est ça ?
Ça marche à chaque fois.
— Oh là, il risque de neiger en enfer avant que je te quitte, tu te débarrasseras pas de moi comme ça, tu le sais ?
Edith reprend des couleurs et des miettes de sourire qui font chanceler sa voix.
— Bon, dans ce cas on fait quoi ?
— Comment ça on fait quoi ? On n’oublie pas la bouteille pour ton père, les fleurs et on se magne le cul histoire de pas les faire attendre !
J’admire les figures de style que ses jambes font pour rentrer dans la voiture.
Le soleil tape sur les vitres, sur les feuilles, sur le goudron. Et quand moi je me sens comme un insecte dans une poêle à frire, Edith, elle, est plus radieuse que jamais.
Le vent, c’est le vent qui s’engouffre. C’est le vent qui fait tout. Il joue avec ses cheveux et son cou, et moi je suis jaloux. Elle en joue. Elle oublie la montagne d’angoisses, la crainte de ne pas savoir montrer par A+B à quel point on s’est bien trouvés.
Et moi j’oublie de regarder la route.
***
On m’a demandé, si j’étais prêt. J’ai dit que non. On m’a demandé si je voulais. J’ai acquiescé froidement. En dedans je brûlais. Je brûlais depuis des heures, des jours.
Edith, je sais pas où elle est, mais pas là.
« — Vous êtes sûr ?
— Débranchez-la. »
Je l’ai pas vue venir, la neige.
Réveil d une vie amoureuse chancelante la fin donne des frissons ceux d une fin programmée, la neige est tombée et le rideau se lève
Ça commence comme une histoire heureuse d'un quotidien heureux, joliment écrite, qui donne envie de continuer ce petit chemin pavé de fleurs et... la vie brutale, quand tout s'arrête !